
La Franche Comté, terre de Mutualités agricoles
Mis à jour le 22/06/2023
Jean Pierre Gurtner, administrateur de la MSA Franche-Comté, retrace l'histoire du Mutualisme en Franche-Comté à travers l'article ci-dessous.
Le mutualisme en biologie est une relation entre les êtres vivants du type « gagnant-gagnant ».
Dans nos sociétés humaines, une forme d’entraide entre personnes partageant le même objectif et le même intérêt, a donné naissance au mutualisme. Se regrouper et se protéger mutuellement contre les risques tels les incendies, la perte de bétail, les accidents…ont trouvé leur place aujourd’hui comme doctrine sociale, entre le « Tout-assisté-Etat » et le « Tout-libéral ».
La Franche Comté a la réputation ancestrale d’être « une terre d’innovations et d’inventeurs sociaux ».
Les sociétés rurales et paysannes, au fil des siècles, ont appréhendé progressivement et finalisé la notion de mutualisme, thématique 2023 de la MSA.
1. A l’origine du mutualisme en Comté de Bourgogne, la fruitière ou « Tour du fromage »
Le cartulaire d’Hugues de Chalon de la seigneurie de Nozeroy (39), un des plus anciens écrits, rédigé entre 1220 et 1319, rassemble 206 folios de titres, échanges donations et alliances de fiefs des plateaux et vallées du Jura. Parmi ces écrits, les fruitières et fromages des bourgs de Levier (25) et Déservillers (25). Au XVIIIème siècle, les Subdélégués d’Intendants ont décrit la fruitière. Ce sont des paysans qui se regroupent à un moment de l’année, pour mettre leurs laits en commun (laits provenant de vaches, chèvres et brebis) afin d’en fabriquer un fromage (vachelin, tome). Ce fromage commercialisé, moyen de subsistance, leur permet de payer l’impôt et les redevances.
Ces paysans qui pratiquent le prêt de lait de façon mutualiste sont souvent cités dans les donations des fiefs. Certain revendique leur appartenance, « […] allant exiger que si je m’enfuie ou départoie, je veux que les officials […] me face excommunier […] (1265).
Ainsi dans la société communautaire d’alors, dominée par des incertitudes sur son avenir, le paysan-défricheur est à la recherche d’une protection sociale solidaire plutôt qu’une vie aventureuse et individuelle.
Ce fonctionnement en fruitière du XII au XVIIIème siècle ébauche le mutualisme économique. Le système du « Tour du fromage », appelé fruitière, désigne alors un paysan qui reçoit chez lui, la production laitière du jour, apportée par tous ses voisins-associés. Il devient propriétaire, avec l’aide d’un fromager qu’il reçoit et héberge, des fromages fabriqués et des sous-produits (crème et petit-lait). Le « Tour du fromage » est basé sur le volume de lait livré. Ainsi un gros producteur l’obtiendra plus souvent qu’un paysan ne possédant qu’une vache ou quelques brebis et chèvres. Fin XVIIIème siècle et XIXème siècle, ce système « gagnant-gagnant » est dénoncé car il présente trop d’injustice dans la qualité des fabrications et trop d’opportunisme dans l’adhésion à telle ou telle fruitière.
2. La fruitière mutualiste, source d’inspiration pour les Utopistes-sociaux du XIXème siècle.
Trop souvent causant des incendies à partir des cheminées des cuisines où se fabriquait le fromage, les municipalités des plateaux du Jura et du Doubs, vont bâtir, au XIXème siècle, des chalets de fromagerie. Le système du Tour va céder sa place à l’association qui deviendra la coopérative avec la production de Gruyères de Comté. Les revenus issus de la vente des fromages sont maintenant partagés entre tous les membres avec voix délibérative, en fonction des apports de lait de chacun. Le chalet est la propriété « démocratique » de tous.
Ce mutualisme naissant va inspirer « les sociétés idéales » des philosophes et sociologues du XIXème siècle.
En premier, Charles Fourier (1772 – 1837) originaire de Besançon (25) qui rédige un traité sur le phalanstère, un lieu de vie en communauté, à l’image de la fruitière, formée en libre association et avec « accords affectueux » entre ses membres.
Victor Considérant (1808 – 1893) de Salins les Bains (39) présente la société mutualiste puis Pierre Joseph Proudhon (1808 – 1865) originaire de Besançon (25) élabore la théorie du crédit à taux zéro et le système de protection sociale pour les nécessiteux appelé « le Mutuellisme ». Pour le philosophe : « le mot mutuel est synonyme de réciprocité et dans un sens plus large d’échanges. Dans le prêt de consommation, l’objet prêté
est consommé par l’emprunteur qui n’en rend alors que l’équivalent, soit en même nature, soit sous d’autres formes. Supposez que le préteur devienne de son coté emprunteur, vous aurez une prestation mutuelle, un échange par conséquent.» (1848)
Dans la ville de Saint-Claude (39) à la fin des années 1870, un cercle d’ouvriers voit le jour et devient la « Fraternelle » en 1881. C’est une société d’alimentation dont les bénéfices sont reversés à un fonds social qui alimente une caisse de solidarité.
Ce modèle de mutualité, initié par Henri Ponard, sera à l’origine de « l’Ecole de Saint-Claude » un modèle coopératif et mutualiste inédit.
3. Des hommes et femmes qui s’inscrivent dans l’histoire des mutuelles agricoles
En 1885, deux hommes, Louis Milcent et Alfred Bouvet vont créer la Société de Crédit Agricole de l’arrondissement de Poligny (39) dont le siège sera à Salins les Bains (39). Ce sera la première caisse locale de crédit agricole de France. Elle inspirera le gouvernement de la Troisième République dans sa loi du 5 mars 1894 sur la création des caisses locales et sur la responsabilité de ses membres basée selon le principe du mutualisme.
Au début du XXème siècle, Henri Lance (1895 – 1960) originaire de Villette-les-Dole (39) et vétérinaire à Levier (25) va fonder avec d’autres francs comtois : René Caron, Louis Pourchet, Pierre Renahy, René Maillot, Henri Chatras et Pierre Maire du Poset, des mutuelles d’assurances et banque, des coopératives d’achats et de production. « Intarissable chercheur et semeur d’idées » Henri Lance va instaurer les principes du mutualisme autour des valeurs de solidarité-démocratie-responsabilité. Après les lois de 1928 sur les assurances sociales, Henri Lance « avec habileté et fermeté », va réclamer la parité sociale pour les exploitants agricoles ne disposant pas d’employeurs finançant la cotisation sociale. Toute sa vie, il luttera contre « l’Etat qui veut s’imposer dans la vie des gens ».
De 1997 à 2005, Jeannette Gros, agricultrice à Boujailles (25) assurera la présidence de la Caisse Centrale de la MSA et de 2001 à 2004, la présidence de la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricole (CNMCCA). Durant son mandat, des actions pertinentes vont marquer les avancées sociales au sein de la MSA. Elles vont concerner la prévention des salariés et des non salariés afin de faire baisser les accidents du travail, l’amélioration de la santé des séniors, la création du statut de conjoint-collaborateur pour les épouses d’agriculteurs, la mise en place d’Appels à projets jeunes dotés de bourses, l’aide aux vacances pour les familles, les programmes locaux pour l’enfance et l’incitation à la retraite complémentaire des exploitants agricoles.
« Aujourd’hui, le mutualisme est synonyme de solidarité. Il repose sur des cotisations et prélèvements en fonction de ses revenus et d’aides redonnées à la personne selon ses besoins. Les cotisations des bien-portants permettent ainsi de soigner les grands malades ». Jeannette Gros (2004)
Jean-Pierre Gurtner